Il y a une quinzaine d’années, je me suis posé beaucoup de questions sur la foi et le christianisme. J’ai alors demandé à mes parents de m’inscrire au catéchisme pour y trouver des réponses. J’y suis restée deux ans et j’ai quitté l’aumônerie deux mois avant de faire ma profession de foi, non sans faire de déçus. «
Je ne suis plus certaine de croire » : c’est la raison que j’ai invoquée.
Depuis, j’appartiens à la foule des agnostiques, à qui l’enseignement du Christ plaît par certains côtés (l’amour, le partage, le pardon), mais qui n’adhèrent pas aux dogmes, à l’organisation ecclésiastique et encore moins à l’idée d’un Dieu tout puissant qui nous dicterait sa volonté (une attitude qu'a superbement résumée Sylvain Tesson dans son récit
Dans les forêts de Sibérie, dont je vous reparlerai très vite).
Lorsque j’ai entendu parler du nouveau roman d’Emmanuel Carrère, Le Royaume, je savais que ce livre était pour moi. Dans cet ouvrage, l’auteur retourne vingt ans en arrière, à l’époque où il était un fervent croyant, pour analyser les raisons de cette foi qui, aujourd’hui, lui semble bien irrationnelle. Cette enquête l’emmène sur les traces des apôtres Paul et Luc, qui ont passé la plus grande partie de leur vie à véhiculer l’enseignement du Christ jusqu’à former les premières Eglises.
« Qui peut croire que l'on croie encore une chose pareille ? » (Nietzsche)
Si la première partie du Royaume peut sembler lourde et égocentrique (Emmanuel Carrère y raconte, assez pompeusement, l’avant, le pendant et l’après de sa « rencontre » avec Dieu, ce qui lui a d’ailleurs valu de nombreuses critiques), elle est indispensable pour comprendre l’objet du récit et le cheminement de l’auteur. Pour ma part, je trouve plutôt courageux de se remettre en question de cette manière. Pour ce qui est de l’égocentrisme, Emmanuel Carrère assume parfaitement ce trait de son caractère, et s’en moque même à plusieurs reprises.
Mais ce récit autocentré n’occupe qu’une petite partie de l’ouvrage. L’essentiel du Royaume consiste en une enquête sur le fait majeur à partir duquel s’est bâtie l’Eglise chrétienne, c’est-à-dire la résurrection du Christ. Pour cela, Emmanuel Carrère se concentre sur les apôtres Paul et Luc, qui ont laissé les principaux textes du Nouveau Testament : les Actes des Apôtres, les épîtres et un (ou plusieurs) Evangiles. A partir de ces textes, l’auteur retrace l’après-Jésus d’un point de vue historique et pragmatique et tente de comprendre comment s’est formé le christianisme.
Toute cette enquête est passionnante, mais il faut s’accrocher. La profusion de détails est impressionnante, et je vous recommande d’avoir une Bible et une Histoire de l’Antiquité à vos côtés si vous ne voulez passer à côté de rien. On y apprend énormément de choses, notamment sur Jérusalem, les querelles des Juifs et la gouvernance des Romains, mais également sur les disputes entre apôtres et les enseignements parfois contradictoires de Jésus.
J’ai beaucoup apprécié ce
récit agrémenté de citations et tissé d'anecdotes et de réflexions de l’auteur sur son expérience, ses questionnements et sa manière de transcrire les faits, tout comme j’ai aimé les
nombreuses comparaisons avec l’histoire soviétique, qu’Emmanuel Carrère connaît bien et qui me parle beaucoup. Il mène par ailleurs une enquête littéraire passionnante sur les circonstances de l'écriture de la Bible : qui l'a écrite, à quelle époque, d'après quels témoignages ? Je regrette seulement qu’il n’ait pas partagé sa bibliographie qui est, à mon avis, colossale et regorge de pépites.
Je relis ces notes [sur l’Évangile de Luc], trois ans plus tard. Elles sont à l'opposé de celles que j'ai prises sur l’Évangile de Jean, vingt ans plus tôt. Je ne crois plus que ce que je lis est la parole de Dieu. Je ne me demande plus, en tout cas plus au premier chef, en quoi chacun de ces mots peut me guider dans la conduite de ma vie. Au lieu de cela, devant chaque verset, je me pose cette question : ce que Luc écrit là, d'où le sort-il ?
Trois possibilités. Soit il l'a lu et il le recopie [...]. Soit on le lui a raconté, et alors qui ? [...] Soit enfin, carrément, il invente. C'est une hypothèse sacrilège pour beaucoup de chrétiens mais je ne suis plus chrétien. Je suis un écrivain qui cherche à comprendre comment s'y est pris un autre écrivain, et qu'il invente souvent, cela me semble une évidence. (pages 404-405)
Pour moi,
Le Royaume est au fond
bien plus qu’un roman historique, c’est un questionnement métaphysique, un point d’interrogation géant. Il ne m’a pas rendue moins agnostique, mais m’a donné envie de me documenter encore plus. A lire si vous aimez vous poser des questions.
Le Royaume d'Emmanuel Carrère, P.O.L, 2014, 630 pages
Je remercie Priceminister qui m'a gracieusement envoyé ce livre dans le cadre des Matchs de la rentrée littéraire.