C’est plus fort que moi, même si j’aime lire de tout, j’ai toujours besoin, à un moment, de revenir à mon genre de prédilection : le thriller psychologique. J’ai donc sorti de ma bibliothèque Puzzle de Franck Thilliez. Et là, je dois dire qu’en matière de psychologie, j’ai été servie, et même carrément bluffée.

Oserez-vous défier vos peurs les plus intimes ?
Tout commence un soir où Ilan, jeune homme un peu paumé qui vit seul depuis la mort de ses parents, voit débarquer chez lui Chloé, son ancienne petite amie qui l’a plaqué du jour au lendemain quelques années plus tôt. La raison de sa venue : Paranoïa, un jeu de piste grandeur nature sur lequel Ilan et Chloé ont passé tant de temps, va enfin débuter. La devise du jeu, « Paranoïa, le jeu aux possibilités illimitées. Pour 300 000 euros, oserez-vous défier vos peurs les plus intimes ? », fait froid dans le dos et son organisation est digne des services secrets les plus compétents. Au terme de plusieurs épreuves terrifiantes, Ilan et Chloé accèdent au terrain de jeu principal, un hôpital psychiatrique désaffecté, perdu au cœur des Alpes. Paranoïa peut enfin commencer…

L’intrigue principale de Puzzle se situe à Swanessong, un asile désert que les candidats doivent explorer pour y découvrir les indices qui leur permettront de résoudre l’énigme de Paranoïa. Cette ambiance ultra glauque n’est pas sans rappeler les jeux vidéo de survival horror de type Outlast (dont l’auteur s’est même peut-être inspiré ?), qui terrifient même les joueurs les plus courageux. Moi qui suis pourtant rompue à ce genre de lectures, j’ai été soulagée, à certains moments, de ne pas me trouver à la place des personnages.

Avec une intrigue véritablement construite comme un puzzle dont chaque pièce ne trouve sa juste place qu’à la toute fin du roman, Franck Thilliez démontre là sa capacité à promener son lecteur et à le faire passer par toutes les émotions : de la perplexité à la surprise, de l’angoisse à l’effroi, croyez-moi, vous ne serez pas déçu(e).

Que les amateurs de thrillers psychologiques se réjouissent : Puzzle est l’une des meilleures références du genre ces dernières années

Puzzle de Franck Thilliez, Pocket, 2014, 479 pages

Il y a une quinzaine d’années, je me suis posé beaucoup de questions sur la foi et le christianisme. J’ai alors demandé à mes parents de m’inscrire au catéchisme pour y trouver des réponses. J’y suis restée deux ans et j’ai quitté l’aumônerie deux mois avant de faire ma profession de foi, non sans faire de déçus. « Je ne suis plus certaine de croire » : c’est la raison que j’ai invoquée.

Depuis, j’appartiens à la foule des agnostiques, à qui l’enseignement du Christ plaît par certains côtés (l’amour, le partage, le pardon), mais qui n’adhèrent pas aux dogmes, à l’organisation ecclésiastique et encore moins à l’idée d’un Dieu tout puissant qui nous dicterait sa volonté (une attitude qu'a superbement résumée Sylvain Tesson dans son récit Dans les forêts de Sibérie, dont je vous reparlerai très vite).

Lorsque j’ai entendu parler du nouveau roman d’Emmanuel Carrère, Le Royaume, je savais que ce livre était pour moi. Dans cet ouvrage, l’auteur retourne vingt ans en arrière, à l’époque où il était un fervent croyant, pour analyser les raisons de cette foi qui, aujourd’hui, lui semble bien irrationnelle. Cette enquête l’emmène sur les traces des apôtres Paul et Luc, qui ont passé la plus grande partie de leur vie à véhiculer l’enseignement du Christ jusqu’à former les premières Eglises.

« Qui peut croire que l'on croie encore une chose pareille ? » (Nietzsche)
Si la première partie du Royaume peut sembler lourde et égocentrique (Emmanuel Carrère y raconte, assez pompeusement, l’avant, le pendant et l’après de sa « rencontre » avec Dieu, ce qui lui a d’ailleurs valu de nombreuses critiques), elle est indispensable pour comprendre l’objet du récit et le cheminement de l’auteur. Pour ma part, je trouve plutôt courageux de se remettre en question de cette manière. Pour ce qui est de l’égocentrisme, Emmanuel Carrère assume parfaitement ce trait de son caractère, et s’en moque même à plusieurs reprises.

Mais ce récit autocentré n’occupe qu’une petite partie de l’ouvrage. L’essentiel du Royaume consiste en une enquête sur le fait majeur à partir duquel s’est bâtie l’Eglise chrétienne, c’est-à-dire la résurrection du Christ. Pour cela, Emmanuel Carrère se concentre sur les apôtres Paul et Luc, qui ont laissé les principaux textes du Nouveau Testament : les Actes des Apôtres, les épîtres et un (ou plusieurs) Evangiles. A partir de ces textes, l’auteur retrace l’après-Jésus d’un point de vue historique et pragmatique et tente de comprendre comment s’est formé le christianisme.

Toute cette enquête est passionnante, mais il faut s’accrocher. La profusion de détails est impressionnante, et je vous recommande d’avoir une Bible et une Histoire de l’Antiquité à vos côtés si vous ne voulez passer à côté de rien. On y apprend énormément de choses, notamment sur Jérusalem, les querelles des Juifs et la gouvernance des Romains, mais également sur les disputes entre apôtres et les enseignements parfois contradictoires de Jésus.

J’ai beaucoup apprécié ce récit agrémenté de citations et tissé d'anecdotes et de réflexions de l’auteur sur son expérience, ses questionnements et sa manière de transcrire les faits, tout comme j’ai aimé les nombreuses comparaisons avec l’histoire soviétique, qu’Emmanuel Carrère connaît bien et qui me parle beaucoup. Il mène par ailleurs une enquête littéraire passionnante sur les circonstances de l'écriture de la Bible : qui l'a écrite, à quelle époque, d'après quels témoignages ? Je regrette seulement qu’il n’ait pas partagé sa bibliographie qui est, à mon avis, colossale et regorge de pépites.

Je relis ces notes [sur l’Évangile de Luc], trois ans plus tard. Elles sont à l'opposé de celles que j'ai prises sur l’Évangile de Jean, vingt ans plus tôt. Je ne crois plus que ce que je lis est la parole de Dieu. Je ne me demande plus, en tout cas plus au premier chef, en quoi chacun de ces mots peut me guider dans la conduite de ma vie. Au lieu de cela, devant chaque verset, je me pose cette question : ce que Luc écrit là, d'où le sort-il ?
Trois possibilités. Soit il l'a lu et il le recopie [...]. Soit on le lui a raconté, et alors qui ? [...] Soit enfin, carrément, il invente. C'est une hypothèse sacrilège pour beaucoup de chrétiens mais je ne suis plus chrétien. Je suis un écrivain qui cherche à comprendre comment s'y est pris un autre écrivain, et qu'il invente souvent, cela me semble une évidence. (pages 404-405)

Pour moi, Le Royaume est au fond bien plus qu’un roman historique, c’est un questionnement métaphysique, un point d’interrogation géant. Il ne m’a pas rendue moins agnostique, mais m’a donné envie de me documenter encore plus. A lire si vous aimez vous poser des questions.

Le Royaume d'Emmanuel Carrère, P.O.L, 2014, 630 pages

Je remercie Priceminister qui m'a gracieusement envoyé ce livre dans le cadre des Matchs de la rentrée littéraire.