Me voici de retour après une énième panne générale de lecture et d’écriture qui, je l’espère, est révolue. En ces temps tristes et moroses, on a parfois l’envie de partir, de se retirer du monde et de ne vivre que pour la beauté des instants éphémères. Certains ne se contentent pas de le dire, ils le font. C’est le cas de Sylvain Tesson, cet écrivain baroudeur qui, en 2010, a passé 6 mois dans une cabane au fin fond de la Sibérie, au bord du lac Baïkal. De cette expérience hors du commun, il a écrit un livre à la fois beau et touchant, Dans les forêts de Sibérie.

Ce séjour en cabane raisonne en moi d’une manière particulière. Tout d’abord parce que j’aime la Russie, c’est un pays où j’ai vécu, dont je parle la langue et dont, quoi qu’on puisse en dire, j’aime les gens. Ensuite parce que le projet de Sylvain Tesson, j’en ai entendu parler bien avant son départ. En 2010, c’était l’Année France-Russie, douze mois de célébrations des cultures russe et française organisées simultanément dans les deux pays. Depuis fin 2009, j’étais stagiaire, dans le cadre de mes études de russe et de communication, dans l’agence conjointe du Ministère des Affaires Etrangères et du Ministère de la Culture chargée d’organiser l’Année France-Russie. Plusieurs fois, j’ai croisé Sylvain Tesson dans les couloirs, et j’avoue que son projet de partir seul en Sibérie m’a toujours fascinée.

Eloge de la lenteur au cœur des bois
Pour revenir au livre, j’ai tout de suite aimé cette atmosphère clairement dépaysante qui règne du début à la fin. Nostalgique, j’y ai reconnu certains aspects de la vie russe, du climat (même si j’ai vécu dans la capitale et non en Sibérie) et du caractère à la fois bourru et hospitalier des gens, qui me font aimer ce pays.

Jour après jour, Sylvain Tesson fait le récit de ses journées, en apparence vides, de ses rencontres, pas si rares que cela, de ses états d’âme aussi, sur le bonheur d’être seul, de ne vivre que pour soi et de pouvoir contempler la nature sans se soucier du temps qui passe. Ses compagnons de route, ce sont les livres et la vodka. Les uns pour vaincre l'ennui et réfléchir à sa condition, l’autre pour rester au chaud et fraterniser avec les visiteurs de passage. 

Quand on se méfie de la pauvreté de sa vie intérieure, il faut emporter de bons livres : on pourra toujours remplir son propre vide. L'erreur serait de choisir exclusivement de la lecture difficile en imaginant que la vie dans les bois vous maintient à un très haut degré de température spirituelle. Le temps est long quand on n'a que Hegel pour les après-midi de neige. (p.32)

Mais plus que tout, Sylvain Tesson disserte sur l’ermitage et ce qu’il a gagné en se retirant de la société. Une vie beaucoup plus simple, beaucoup plus lente, une vie où on redécouvre la beauté époustouflante du monde, une vie où contempler une mésange jouer dans la neige peut occuper une matinée entière.

Je suis seul. Les montagnes m'apparaissent plus sévères. Le paysage se révèle, intense. Le pays me saute au visage. C'est fou ce que l'homme accapare l'attention de l'homme. La présence des autres affadit le monde. La solitude est cette conquête qui vous rend jouissance des choses. (p.36)

Côté style, il y a beaucoup de recherche. On sent que l’auteur est poète, qu’il est toujours à la recherche d’une belle image, quitte à en faire un peu trop. Mais je lui pardonne son style parfois ampoulé pour m’avoir fait retourner en Russie. Si ce pays vous fascine, si vous êtes un aventurier ou si vous souhaitez tout simplement lâcher prise le temps d’un récit, ce livre est pour vous.

Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson, Folio, 2013, 290 pages